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Read Ebook: Le roi des montagnes by About Edmond

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Ebook has 1090 lines and 67000 words, and 22 pages

Un dimanche que John Harris d?nait avec nous, c'?tait peu de temps apr?s son aventure, je mis le bon Christodule sur le chapitre d'Hadgi-Stavros. Notre h?te l'avait beaucoup fr?quent? autrefois, pendant la guerre de l'ind?pendance, dans un temps o? le brigandage ?tait moins discut? qu'aujourd'hui.

Il vida son verre de vin de Santorin, lustra sa moustache grise et commen?a un long r?cit entrecoup? de quelques soupirs. Il nous apprit que Stavros ?tait le fils d'un papas ou pr?tre de l'?le de Tino. Il naquit Dieu sait en quelle ann?e: les Grecs du bon temps ne connaissent pas leur ?ge, car les registres de l'?tat civil sont une invention de la d?cadence. Son p?re, qui le destinait ? l'?glise, lui fit apprendre ? lire. Vers l'?ge de vingt ans, il fit le voyage de J?rusalem et ajouta ? son nom le titre de Hadgi, qui veut dire p?lerin. Hadgi-Stavros, en rentrant au pays, fut pris par un pirate. Le vainqueur lui trouva des dispositions, et de prisonnier le fit matelot. C'est ainsi qu'il commen?a ? guerroyer contre les navires turcs, et g?n?ralement contre tous ceux qui n'avaient pas de canons ? bord. Au bout de quelques ann?es de service, il s'ennuya de travailler pour les autres et r?solut de s'?tablir ? son compte. Il n'avait ni bateau, ni argent pour en acheter un; force lui fut d'exercer la piraterie ? terre. Le soul?vement des Grecs contre la Turquie lui permit de p?cher en eau trouble. Il ne sut jamais bien exactement s'il ?tait brigand ou insurg?, ni s'il commandait ? des voleurs ou ? des partisans. Sa haine pour les Turcs ne l'aveuglait pas ? ce point qu'il pass?t pr?s d'un village grec sans le voir et le fouiller. Tout argent lui ?tait bon, qu'il v?nt des amis ou des ennemis, du vol simple ou du glorieux pillage. Une si sage impartialit? augmenta rapidement sa fortune. Les bergers accoururent sous son drapeau, lorsqu'on sut qu'il y avait gros ? gagner avec lui: sa r?putation lui fit une arm?e. Les puissances protectrices de l'insurrection eurent connaissance de ses exploits, mais non de ses ?conomies; en ce temps-l? on voyait tout en beau. Lord Byron lui d?dia une ode, les po?tes et les rh?teurs de Paris le compar?rent ? ?paminondas et m?me ? ce pauvre Aristide. On broda pour lui des drapeaux au faubourg Saint-Germain; on lui envoya des subsides. Il re?ut de l'argent de France, il en re?ut d'Angleterre et de Russie; je ne voudrais pas jurer qu'il n'en a jamais re?u de Turquie: c'?tait un vrai pallicare! A la fin de la guerre, il se vit assi?g?, avec les autres chefs, dans l'Acropole d'Ath?nes. Il logeait aux Propyl?es, entre Margaritis et Lygandas, et chacun d'eux gardait ses tr?sors au chevet de son lit. Par une belle nuit d'?t?, le toit tomba si adroitement qu'il ?crasa tout le monde, except? Hadgi-Stavros, qui fumait son narghil? au grand air. Il recueillit l'h?ritage de ses compagnons, et chacun pensa qu'il l'avait bien gagn?. Mais un malheur qu'il ne pr?voyait pas vint arr?ter le cours de ses succ?s: la paix se fit. Hadgi-Stavros, retir? ? la campagne avec son argent, assistait ? un ?trange spectacle. Les puissances qui avaient mis la Gr?ce en libert? essayaient de fonder un royaume. Des mots malsonnants venaient bourdonner autour des oreilles velues du vieux pallicare; on parlait de gouvernement, d'arm?e, d'ordre public. On le fit bien rire en lui annon?ant que ses propri?t?s ?taient comprises dans une sous-pr?fecture. Mais lorsque l'employ? du fisc se pr?senta chez lui pour toucher les imp?ts de l'ann?e, il devint s?rieux. Il jeta le percepteur ? la porte, non sans l'avoir soulag? de tout l'argent qu'il avait sur lui. La justice lui chercha querelle: il reprit le chemin des montagnes. Aussi bien, il s'ennuyait dans sa maison. Il comprenait jusqu'? un certain point qu'on e?t un toit, mais ? condition de dormir dessus.

Ses anciens compagnons d'armes ?taient dispers?s par tout le royaume. L'?tat leur avait donn? des terres; ils les cultivaient en rechignant, et mangeaient du bout des dents le pain amer du travail. Lorsqu'ils apprirent que le chef ?tait brouill? avec la loi, ils vendirent leurs champs et coururent le rejoindre. Quant ? lui, il se contenta d'affermer ses biens: il a des qualit?s d'administrateur.

La paix et l'oisivet? l'avaient rendu malade. L'air des montagnes le ragaillardit si bien, qu'en 1840 il songea au mariage. Il avait assur?ment pass? la cinquantaine, mais les hommes de cette trempe n'ont rien ? d?m?ler avec la vieillesse; la mort m?me y regarde ? deux fois avant de les entreprendre. Il ?pousa une riche h?riti?re, d'une des meilleures familles de Laconie, et devint ainsi l'alli? des plus grands personnages du royaume. Sa femme le suivit partout, lui donna une fille, prit les fi?vres et mourut. Il ?leva son enfant lui-m?me, avec des soins presque maternels. Lorsqu'il faisait sauter la petite sur ses genoux, les brigands ses compagnons lui disaient en riant: <>

L'amour paternel donna un nouveau ressort ? son esprit. Pour amasser ? sa fille une dot royale, il ?tudia la question d'argent, sur laquelle il avait eu des id?es trop primitives. Au lieu d'entasser ses ?cus dans des coffres, il les pla?a. Il apprit les tours et les d?tours de la sp?culation; il suivit le cours des fonds publics en Gr?ce et ? l'?tranger. On pr?tend m?me que, frapp? des avantages de la commandite, il eut l'id?e de mettre le brigandage en actions. Il a fait plusieurs voyages en Europe, sous la conduite d'un Grec de Marseille qui lui servait d'interpr?te. Pendant son s?jour en Angleterre, il assista ? une ?lection dans je ne sais quel bourg pourri du Yorkshire: ce beau spectacle lui inspira des r?flexions profondes sur le gouvernement constitutionnel et ses profits. Il revint d?cid? ? exploiter les institutions de sa patrie et ? s'en faire un revenu. Il br?la bon nombre de villages pour le service de l'opposition; il en d?truisit quelques autres dans l'int?r?t du parti conservateur. Lorsqu'on voulait renverser un minist?re, on n'avait qu'? s'adresser ? lui: il prouvait par des arguments irr?futables que la police ?tait mal faite et qu'on n'obtiendrait un peu de s?curit? qu'en changeant le cabinet. Mais en revanche il donna de rudes le?ons aux ennemis de l'ordre en les punissant par o? ils avaient p?ch?. Ses talents politiques se firent si bien conna?tre, que tous les partis le tenaient en haute estime. Ses conseils en mati?re d'?lection ?taient presque toujours suivis; si bien que, contrairement au principe du gouvernement repr?sentatif, qui veut qu'un seul d?put? exprime la volont? de plusieurs hommes, il ?tait repr?sent?, lui seul, par une trentaine de d?put?s. Un ministre intelligent, le c?l?bre Rhalettis, s'avisa qu'un homme qui touchait si souvent aux ressorts du gouvernement finirait peut-?tre par d?ranger la machine. Il entreprit de lui lier les mains par un fil d'or. Il lui donna rendez-vous ? Carvati, entre l'Hymette et le Pent?lique, dans la maison de campagne d'un consul ?tranger. Hadgi-Stavros y vint, sans escorte et sans armes. Le ministre et le brigand, qui se connaissaient de longue date, d?jeun?rent ensemble comme deux vieux amis. Au dessert, Rhalettis lui offrit amnistie pleine et enti?re pour lui et les siens, un brevet de g?n?ral de division, le titre de s?nateur et dix mille hectares de for?ts en toute propri?t?. Le pallicare h?sita quelque temps, et finit par r?pondre non. <>

Rhalettis ne se tint pas pour battu. Il essaya d'?clairer le brigand sur l'infamie du m?tier qu'il exer?ait. Hadgi-Stavros se mit ? rire et lui dit avec une aimable cordialit?:

<

--Songe enfin, ajouta le ministre, que tu ne saurais ?chapper ? ta destin?e: tu mourras un jour ou l'autre de mort violente.

--Allah Kerim! r?pondit-il en turc. Ni toi ni moi n'avons lu dans les ?toiles. Mais j'ai du moins un avantage: c'est que mes ennemis portent un uniforme et je les reconnais de loin. Tu ne peux pas en dire autant des tiens. Adieu, fr?re.>>

Six mois apr?s, le ministre mourut assassin? par ses ennemis politiques; le brigand vit encore.

On a beaucoup parl? des cruaut?s d'Hadgi-Stavros. Son ami Christodule nous prouva qu'il ne faisait pas le mal par plaisir. C'est un homme sobre et qui ne s'enivre de rien, pas m?me de sang. S'il lui arrive de chauffer un peu trop fort les pieds d'un riche paysan, c'est pour savoir o? le ladre a cach? ses ?cus. En g?n?ral il traite avec douceur les prisonniers dont il esp?re une ran?on. Dans l'?t? de 1854, il descendit un soir avec sa bande chez un gros marchand de l'?le d'Eub?e, M. Vo?di. Il trouva la famille assembl?e, plus un vieux juge au tribunal de Chalcis, qui faisait sa partie de cartes avec le ma?tre de la maison. Hadgi-Stavros offrit au magistrat de lui jouer sa libert?: il perdit et s'ex?cuta de bonne gr?ce. Il emmena M. Vo?di, sa fille et son fils: il laissa la femme, pour qu'elle p?t s'occuper de la ran?on. Le jour de l'enl?vement, le marchand avait la goutte, sa fille avait la fi?vre, le petit gar?on ?tait p?le et boursoufl?. Ils revinrent deux mois apr?s tous gu?ris par l'exercice, le grand air et les bons traitements. Toute une famille recouvra la sant? pour cinquante mille francs: ?tait-ce pay? trop cher?

--Moi, dit le petit Lobster avec sort sourire tranquille, je ne demande qu'? le rencontrer ? cinquante pas de mon revolver. Et vous, oncle John?>>

Harris sifflait entre ses dents un petit air am?ricain, aigu comme une lame de stylet.

--Certainement, reprit Christodule: 50 officiers, 152 brigadiers et 1250 gendarmes, dont 150 ? cheval. C'est la meilleure troupe du royaume, apr?s celle d'Hadgi-Stavros.

--Ce qui m'?tonne, dis-je ? mon tour, c'est que la fille du vieux coquin l'ait laiss? faire.

--Elle n'est pas avec lui.

--A la bonne heure! O? est-elle?

--En pension.

--A Ath?nes?

--Vous m'en demandez trop: je n'en sais pas si long. Toujours est-il que celui qui l'?pousera fera un beau mariage.

--Oui, dit Harris. On assure ?galement que la fille de Calcraft n'est pas un mauvais parti.

--Qu'est-ce que Calcraft?

--Le bourreau de Londres.>>

A ces mots Dimitri, le fils de Christodule, rougit jusqu'aux oreilles. <>

<>

Christodule nous pr?senta Photini comme la fille d'un de ses compagnons d'armes, le colonel Jean, commandant de place ? Nauplie. Elle s'appelait donc Photini fille de Jean, suivant l'usage du pays, o? il n'y a pas, ? proprement parler, de noms de famille.

La jeune Ath?nienne ?tait laide, comme les neuf dixi?mes des filles d'Ath?nes. Elle avait de jolies dents et de beaux cheveux, mais c'?tait tout. Sa taille ?paisse semblait mal ? l'aise dans un corset de Paris. Ses pieds arrondis en forme de fers ? repasser devaient souffrir le supplice: ils ?taient faits pour se tra?ner dans des babouches, et non pour se serrer dans des bottines de Meyer. Sa face rappelait si peu le type grec, qu'elle manquait absolument de profil; elle ?tait plate comme si une nourrice imprudente avait commis la faute de s'asseoir sur la figure de l'enfant. La toilette ne va pas ? toutes les femmes: elle donnait presque un ridicule ? la pauvre Photini. Sa robe ? volants, soulev?e par une puissante crinoline, faisait ressortir la gaucherie de sa personne et la maladresse de ses mouvements. Les bijoux du Palais-Royal, dont elle ?tait ?maill?e, semblaient autant de points d'exclamation destin?s ? signaler les imperfections de son corps. Vous auriez dit une grosse et courte servante qui s'est endimanch?e dans la garde-robe de sa ma?tresse.

Aucun de nous ne s'?tonna que la fille d'un simple colonel f?t si ch?rement habill?e pour passer son dimanche dans la maison d'un p?tissier. Nous connaissions assez le pays pour savoir que la toilette est la plaie la plus incurable de la soci?t? grecque. Les filles de la campagne font percer des pi?ces d'argent, les cousent ensemble en forme de casque, et s'en coiffent aux jours de gala. Elles portent leur dot sur la t?te. Les filles de la ville la d?pensent chez les marchands, et la portent sur tout le corps.

Photini ?tait en pension ? l'H?tairie. C'est, comme vous savez, une maison d'?ducation ?tablie sur le mod?le de la L?gion d'honneur, mais r?gie par des lois plus larges et plus tol?rantes. On y ?l?ve non seulement les filles des soldats, mais quelquefois aussi les h?riti?res des brigands.

La fille du colonel Jean savait un peu de fran?ais et d'anglais; mais sa timidit?, ne lui permettait pas de briller dans la conversation. J'ai su plus tard que sa famille comptait sur nous pour la perfectionner dans les langues ?trang?res. Son p?re, ayant appris que Christodule h?bergeait des Europ?ens honn?tes et instruits, avait pri? le p?tissier de la faire sortir tous les dimanches et de lui servir de correspondant. Ce march? paraissait agr?er ? Christodule, et surtout ? son fils Dimitri. Le jeune domestique de place d?vorait des yeux la pauvre pensionnaire, qui ne s'en apercevait pas.

Nous avions fait le projet d'aller tous ensemble ? la musique. C'est un beau spectacle, que les Ath?niens se donnent ? eux-m?mes tous les dimanches. Le peuple entier se rend, en grands atours, dans un champ de poussi?re, pour entendre des valses et des quadrilles jou?s par une musique de r?giment. La cour n'y manquerait pas pour un empire. Apr?s le dernier quadrille, chacun retourne chez soi, l'habit poudreux, le coeur content, et l'on dit: <>

<>

D?cid?ment Photini savait la chanson; car elle ouvrait de grands yeux pour que l'amour p?t y entrer sans se baisser.

La pluie ne se lassait pas de tomber, ni Dimitri de lorgner la jeune fille, ni la jeune fille de regarder Harris, ni Giacomo de croquer des bonbons, ni M. M?rinay de raconter au petit Lobster un chapitre d'histoire ancienne, qu'il n'?coutait pas. A huit heures, Maroula mit le couvert pour le souper. Photini fut plac?e entre Dimitri et moi, qui ne tirais pas ? cons?quence. Elle causa peu et ne mangea rien. Au dessert, quand la servante parla de la reconduire, elle fit un effort visible et me dit ? l'oreille:

<>

Je pris plaisir ? l'embarrasser un peu, et je r?pondis:

<

--Est-il possible! Quel ?ge a-t-elle?

--Elle est vieille comme le monde, et ?ternelle comme lui.

--Ne vous moquez pas de moi; je suis une pauvre fille, et je ne comprends pas vos plaisanteries d'Europe.

Elle me remercia avec un tel rayonnement de joie, que sa laideur en fut ?clips?e et que je la trouvai jolie pendant une seconde au moins.

MARY-ANN

Les ?tudes de ma jeunesse ont d?velopp? en moi une passion qui a fini par empi?ter sur toutes les autres: c'est le d?sir de savoir, ou, si vous aimez mieux l'appeler autrement, la curiosit?. Jusqu'au jour o? je partis pour Ath?nes, mon seul plaisir avait ?t? d'apprendre; mon seul chagrin, d'ignorer. J'aimais la science comme une ma?tresse, et personne n'?tait encore venu lui disputer mon coeur. En revanche, il faut convenir que je n'?tais pas tendre, et que la po?sie et Hermann Schultz entraient rarement par la m?me porte. Je me promenais dans le monde comme dans un vaste mus?um, la loupe ? la main. J'observais les plaisirs et les souffrances d'autrui comme des faits dignes d'?tude, mais indignes d'envie ou de piti?. Je ne jalousais pas plus un heureux m?nage qu'un couple de palmiers mari?s par le vent; j'avais juste autant de compassion pour un coeur d?chir? par l'amour que pour un g?ranium grill? par la gel?e. Quand on a diss?qu? des animaux vivants, on n'est plus gu?re sensible aux cris de la chair palpitante. J'aurais ?t? bon public dans un combat de gladiateurs.

L'amour de Photini pour John Harris e?t apitoy? tout autre qu'un naturaliste. La pauvre cr?ature aimait ? tort et ? travers, suivant la belle expression d'Henri IV; et il ?tait ?vident qu'elle aimerait en pure perte. Elle ?tait trop timide pour laisser percer son amour, et John ?tait trop brouillon pour le deviner. Quand m?me il se serait aper?u de quelque chose, le moyen d'esp?rer qu'il s'int?resserait ? une laideron na?ve des bords de l'Ilissus? Photini passa quatre autres journ?es avec lui, les quatre dimanches d'avril. Elle le regarda, du matin au soir, avec des yeux languissants et d?sesp?r?s; mais elle ne trouva jamais le courage d'ouvrir la bouche en sa pr?sence. Harris sifflait tranquillement, Dimitri grondait comme un jeune dogue, et moi, j'observais en souriant cette ?trange maladie dont ma constitution m'avait toujours pr?serv?.

Mon p?re m'?crivit sur ces entrefaites pour me dire que les affaires allaient bien mal, que les voyageurs ?taient rares, que la vie ?tait ch?re, que nos voisins d'en face venaient d'?migrer, et que si j'avais trouv? une princesse russe, je n'avais rien de mieux ? faire que de l'?pouser sans d?lai. Je r?pondis que je n'avais trouv? personne ? s?duire, si ce n'est la fille d'un pauvre colonel grec; qu'elle ?tait s?rieusement ?prise, mais d'un autre que moi; que je pourrais, avec un peu d'adresse, devenir son confident, mais que je ne ferais jamais son mari. Au demeurant, ma sant? ?tait bonne, mon herbier magnifique. Mes recherches, renferm?es jusque-l? dans la banlieue d'Ath?nes, allaient pouvoir s'?tendre plus loin. La s?curit? renaissait, les brigands avaient ?t? battus par la gendarmerie, et tous les journaux annon?aient la dispersion de la bande d'Hadgi-Stavros. Dans un mois au plus tard je pourrais me mettre en route pour l'Allemagne, et solliciter une place qui donn?t du pain ? toute la famille.

Je descendis la rue d'Herm?s jusqu'au carrefour de la Belle-Gr?ce, et je pris la rue d'?ole. En passant devant la place des Canons, je saluai la petite artillerie du royaume, qui sommeille sous un hangar en r?vant la prise de Constantinople, et j'arrivai en quatre enjamb?es ? la promenade de Patissia. Les m?lias qui la bordent des deux c?t?s commen?aient ? entr'ouvrir leurs fleurs odorantes. Le ciel, d'un bleu fonc?, blanchissait imperceptiblement entre l'Hymette et le Pent?lique. Devant moi, ? l'horizon, les sommets du Parn?s se dressaient comme une muraille ?br?ch?e: c'?tait le but de mon voyage. Je descendis par un chemin de traverse jusqu'? la maison de la comtesse Janthe Th?otoki, occup?e par la l?gation de France; je longeai les jardins du prince Michel Soutzo de l'Acad?mie de Platon, qu'un pr?sident de l'ar?opage mit en loterie il y a quelques ann?es, et j'entrai dans le bois d'oliviers. Les grives matinales et les merles, leurs cousins germains, sautillaient dans les feuillages argent?s et bavardaient joyeusement sur ma t?te. Au d?bouch? du bois, je traversai de grandes orges vertes o? les chevaux de l'Attique, courts et trapus comme sur la frise du Parth?non, se consolaient du fourrage sec et de la nourriture ?chauffante de l'hiver. Des bandes de tourterelles s'envolaient ? mon approche, et les alouettes hupp?es montaient verticalement dans le ciel comme les fus?es d'un feu d'artifice. De temps en temps une tortue indolente traversait le chemin en tra?nant sa maison. Je la couchais soigneusement sur le dos, et je poursuivais ma route en lui laissant l'honneur de se tirer d'affaire. Apr?s deux heures de marche, j'entrai dans le d?sert. Les trac?s de culture disparaissaient; on ne voyait sur le sol aride que des touffes d'herbe maigre, des oignons d'ornithogale ou de longues tiges d'asphod?les dess?ch?es. Le soleil se levait et je voyais distinctement les sapins qui h?rissent le flanc du Parn?s. Le sentier que j'avais pris n'?tait pas un guide bien s?r, mais je me dirigeais sur un groupe de maisons ?parpill?es au revers de la montagne, et qui devaient ?tre le village de Castia.

Je franchis d'une enjamb?e le C?phise ?leusinien, au grand scandale des petites tortues plates qui sautaient ? l'eau comme de simples grenouilles. A cent pas plus loin, le chemin se perdit dans un ravin large et profond, creus? par les pluies de deux ou trois mille hivers. Je supposai avec quelque raison que le ravin devait ?tre la route. J'avais remarqu?, dans mes excursions pr?c?dentes, que les Grecs se dispensent de tracer un chemin toutes les fois que l'eau a bien voulu se charger de la besogne. Dans ce pays, o? l'homme contrarie peu le travail de la nature, les torrents sont routes royales; les ruisseaux, routes d?partementales; les rigoles, chemins vicinaux. Les orages font l'office d'ing?nieurs des ponts et chauss?es, et la pluie est un agent voyer qui entretient, sans contr?le, les chemins de grande et de petite communication. Je m'enfon?ai donc dans le ravin, et je poursuivis ma promenade entre deux rives escarp?es qui me cachaient la plaine, la montagne et mon but. Mais le chemin capricieux faisait tant de d?tours, que bient?t il me fut difficile de savoir dans quelle direction je marchais, et si je ne tournais pas le dos au Parn?s. Le parti le plus sage e?t ?t? de grimper sur l'une ou l'autre rive et de m'orienter en plaine; mais les talus ?taient ? pic, j'?tais las, j'avais faim, et je me trouvais bien ? l'ombre. Je m'assis sur un galet de marbre, je tirai de ma bo?te un morceau de pain, une ?paule d'agneau froide, et une gourde du petit vin que vous savez. Je me disais: <>

En effet, comme je refermais mon couteau pour m'?tendre ? l'ombre avec cette douce qui?tude qui suit le d?jeuner des voyageurs et des serpents, je crus entendre un pas de cheval. J'appliquai une oreille contre terre et je reconnus que deux ou trois cavaliers s'avan?aient derri?re moi. Je bouclai ma bo?te sur mon dos, et je m'appr?tai ? les suivre, dans le cas o? ils se dirigeraient sur le Parn?s. Cinq minutes apr?s, je vis appara?tre deux dames mont?es sur des chevaux de man?ge et ?quip?es comme des Anglaises en voyage. Derri?re elles marchait un pi?ton que je n'eus pas de peine ? reconna?tre: c'?tait Dimitri.

Vous qui avez un peu couru le monde, vous n'?tes pas sans avoir remarqu? que le voyageur se met toujours en marche sans aucun souci des vanit?s de la toilette, mais que s'il vient ? rencontrer des dames, fussent-elles plus vieilles que la colombe de l'arche, il sort brusquement de cette indiff?rence et jette un regard inquiet sur son enveloppe poudreuse. Avant m?me de distinguer la figure des deux amazones derri?re leurs voiles de cr?pe bleu, j'avais fait l'inspection de toute ma personne, et j'avais ?t? assez satisfait. Je portais les v?tements que vous voyez, et qui sont encore pr?sentables, quoiqu'ils me servent depuis bient?t deux ans. Je n'ai chang? que ma coiffure: une casquette, f?t-elle aussi belle et aussi bonne que celle-ci, ne prot?gerait pas un voyageur contre les coups de soleil. J'avais un chapeau de feutre gris ? larges bords, o? la poussi?re ne marquait point.

Je l'?tai poliment sur le passage des deux dames, qui ne parurent pas s'inqui?ter grandement de mon salut. Je tendis la main ? Dimitri, et il m'apprit en quelques mots tout ce que je voulais savoir.

--Suis-je bien sur le chemin du Parn?s?

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