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Read Ebook: Le signe sur les mains by Baumann Emile

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Ebook has 657 lines and 33767 words, and 14 pages

Au milieu d'une c?r?monie dont tous les rites pr?chaient le renoncement, le souvenir d'Agn?s s'interposa comme pour protester contre d'aust?res desseins. L'id?e de sa pr?sence lui survint telle qu'au premier instant o?, apr?s des ann?es, ils s'?taient revus.

Il rentrait, vers midi, par le sentier qui passe au bas du jardin; en ouvrant la porte, il avait lev? les yeux; dans l'embrasure d'une fen?tre elle se tenait debout, regardant, comme ?blouie, la plaine o? tremblait, sous la brume, Paris lointain, semblable ? une ville ensevelie qu'on d?couvrirait au fond d'une mer transparente. Son grand deuil faisait valoir ses bras nus, nerveux, ros?s en plein soleil, avec des fossettes d'ombre dans leurs plis.

Au bruit de son pas, elle se pencha, puis se retira vivement; mais, l'ayant reconnu, elle se montra de nouveau; comme il la saluait d'un air joyeux, elle s'inclina en souriant...

La pr?sence imaginaire s'est ?cart?e, ce qu'on fait dans la chapelle ressaisit J?r?me. Le Pontife assis ?te ses gants; devant lui, les ordinands fl?chissent les genoux; et, chacun ayant ses mains jointes, il les oint de l'huile des cat?chum?nes, du chr?me qui servait jadis ? sacrer les rois. Avec son pouce il ?tend l'huile en deux lignes formant une croix; il trace sur ces mains humides un lent signe de croix,

<>

Un des assistants prend la nappe que l'ordinand pr?sente entre ses doigts; il en lie la main droite sur la gauche; aux deux mains ainsi li?es le Pontife tend le calice o? l'on a m?l? le vin et l'eau; il leur donne le contact de la pat?ne qui porte l'hostie; et il prononce les paroles de transmission:

<>

Quand les pr?tres ordonn?s sont redescendus de l'autel, J?r?me contemple leurs mains; il ne s'arr?te pas ? examiner si elles sont blanches ou rougeaudes, fines ou ?paisses, grossi?res ou patriciennes. Il les sait consacr?es; elles b?niront, elles baptiseront; d?ploy?es au-dessus de l'hostie et du calice elles aideront la Parole au miracle du pain et du vin transsubstanti?s; elles seules toucheront le Corps du Seigneur. Ces mains, saintes ? pr?sent, m?me si elles devenaient impures, tiendront les clefs invisibles; sans leur geste rien de ce qui est li? ou d?li? dans le ciel ne saurait, sur la terre, se d?lier ou se lier.

La puissance inamovible de ce caract?re ?merveille J?r?me; et cependant un effroi le traverse ? la simple id?e qu'il devrait un jour en recevoir le signe. Il se retranche dans son indignit?, il ne veut pas que ses mains ? lui soient encha?n?es ni ointes.

<>, c'est le cri de sa jeunesse impatiente. Le poulain se m?fie de la bride et du mors; il ne comprend que l'appel des herbages ou le clairon du vent qui a bondi sur les vagues. J?r?me est tourment? d'un sourd malaise; il s'ennuie au voisinage de ces esclaves du Christ qui, tout ? l'heure, vont, une fois de plus, s'agenouiller devant l'?v?que et promettre ob?issance. Il prend son chapeau, comme pour s'en aller. Mais il se ravise en pensant:

Celui qu'on appelle, chez Mme Cormier, <>, est l'oncle paternel de J?r?me, un ancien missionnaire que ses infirmit?s ont r?duit ? l'inaction; sa belle-soeur lui donne asile, et ce vieux malade exerce dans la maison une supr?matie; J?r?me lui-m?me ?prouve son ascendant; la pr?sence du <> domine, qu'il le veuille ou non, tous ses actes.

Il reste donc jusqu'au bout de la Messe magnifique conc?l?br?e ? voix haute par le Pontife et les nouveaux pr?tres. Le tumulte de son ind?pendance s'est calm?. Il s'associe ? la majest? du Sacrifice, ? l'attente pascale, dans la douceur de la divine Communion.

Cependant, lorsqu'il sort de la chapelle, il part aussi all?gre qu'un ?colier s'?chappant ? la fin d'une classe trop longue. D'un pas imp?tueux il descend la rue d'Assas; il va comme press? par un rendez-vous d'amour. Il ?parpille sa force dans les choses ext?rieures; il est content de faire sonner sous ses talons le trottoir ensoleill?. Du bonheur passe pour lui, m?me dans les nuages dispers?s au del? des toits fumants. La terre lui semble belle comme un navire pavois? voguant vers des ?les bleues, au matin d'un printemps qui se voudrait ?ternel.

Dans la salle ? manger aux boiseries tr?s blanches Mme ?lise Cormier pr?sidait la table, ayant un pr?tre ? sa droite, et, ? sa gauche, un autre pr?tre, l'oncle Gaston, <>. Vis-?-vis d'elle, entre les deux jeunes filles, la place de J?r?me ?tait vide. On ne l'avait pas attendu parce que l'invit?, le chanoine Langevin, devait repartir avant trois heures.

A ces visages affables <> opposait la rudesse tourment?e du sien: une t?te carr?e, des tempes puissantes; des cheveux drus, presque blancs, des sourcils irr?guliers qu'il fron?ait comme s'ils allaient lancer des foudres, une m?choire tendue, une barbe divis?e en deux pointes qu'?tirait sa main noueuse; une mine de commandement; l'oeil de feu d'un faucon d?vorant les espaces. Sa figure aurait pu ?tre celle d'un vieux Chouan terrible; le pli sacerdotal, la maladie, la pri?re, une volont? de renoncement l'avaient adoucie, ?pur?e. Son teint jaune d?clarait le mauvais ?tat de son foie. Il mangeait peu; une tasse de lait avec du pain grill? suffisait ? sa r?fection. Mais, quand il parlait, c'?tait, selon son habitude, en proph?te, comme ayant seul le droit d'?tre ?cout?:

Mme ?lise, quoique r?sign?e, de longue date, ? ses vaticinations, les sentait irritantes pour l'optimiste chanoine; elle tourna vivement vers son beau-fr?re ses yeux mutins, et, sur un ton de gentillesse suppliante:

--Oh! P?re, je vous en prie, ?pargnez-nous, laissez-nous, entre deux crises, au moins respirer...

--Cher ami, dit le chanoine, s'?vertuant ? rester b?nin, vous ressemblez toujours au sombre ?z?chiel, lorsqu'il trouvait doux comme miel le livre amer qu'il avait mang?, plein de lamentations et de menaces affreuses. Serons-nous tent?s au del? de nos forces? Les Victimes n'interc?deront-elles plus?

Le P?re allait justifier ses proph?ties, indign? qu'elles fussent mises en doute. Mais on venait d'entendre la grille de la villa se refermer brusquement. Un pas agile bondit sur le perron. Mme ?lise eut ? peine le temps d'annoncer:

--Voici J?r?me!

Il entra, rouge, un peu haletant d'?tre mont? si vite. Son arriv?e fut la diversion joyeuse. Il baisa le front de sa m?re, serra la main de son oncle et du chanoine; les deux jeunes filles lui tendirent le bout de leurs doigts. D?sir?e, la cuisini?re, pr?senta sur la table une dorade friande que Mme ?lise d?coupa; et, tandis que J?r?me expliquait son retard, le P?re lui demanda comment s'?tait pass?e l'ordination:

--Les ordinands, je le suppose, ne brillaient gu?re par le nombre...

--Oui, r?pondit J?r?me, ils sont trop peu. C'?tait beau, quand m?me. J'ai vu de pr?s l'onction des mains; je n'en avais aucune id?e.

--Autrefois, observa son oncle, si un pr?tre ?tait not? d'infamie, il subissait le rite oppos?. L'?v?que, pour le d?pouiller du pouvoir de consacrer et de b?nir, lui raclait les mains avec un couteau ou un morceau de verre.

Antoinette soupira:

--Elles devaient ?tre en sang!

Agn?s examinait les mains du chanoine et celles du P?re. Elle murmura cette remarque ?trange:

--Les pr?tres portent donc un signe sur les mains?

--Je le croirais, dit J?r?me, et m?me je me demande si, dans certains cas, le signe ne devient point un h?ritage de famille.

Mme ?lise se prit ? rire, le chanoine hocha la t?te, et le P?re fron?a les sourcils comme en face d'un paradoxe inqui?tant. J?r?me poursuivit:

J?r?me s'?tonna d'avoir ainsi parl?; en d?voilant, ? cette heure, le secret de Montcalm, il semblait se mettre sur le chemin d'avouer la supr?me injonction du mort, celle dont il demeurait charg?. De celle-l?, il croyait bien que jamais l'aveu n'?chapperait ? ses l?vres.

Un silence succ?da o? il put ?couter l'?cho de son r?cit prolong? jusqu'au fond des coeurs, comme la chute d'une pierre rebondissant le long des parois d'un puits. Mais le chanoine, th?ologien scrupuleux, ?prouva le besoin de commenter:

--La vocation, chez votre ami, et l'onction des mains re?ue par le ci-devant pr?tre, ces deux faits n'ont entre eux aucun lien formel.

--Qu'en savez-vous? contredit le P?re, enclin ? scruter les choses qui se perdent dans l'insondable.

La brusque r?v?lation de J?r?me sur Montcalm avait choqu? Mme ?lise. Pourquoi son fils ne lui avait-il rien dit, ? elle d'abord, de cette bizarre confidence?

Elle poussa l'entretien vers un sujet o? le P?re et le chanoine n'auraient pas, croyait-elle, occasion de se heurter. L'abb? Langevin, quelques mois auparavant, avait fait un s?jour ? Rome; elle se disait curieuse de le suivre aux catacombes. Il raconta que, dans celles de Saint-Calixte, le Trappiste qui le guidait l'avait arr?t? devant un petit bas-relief en marbre figurant des Amours ail?s mont?s, comme des coureurs, sur des chevaux lanc?s ? toute bride: <> avait-il interrog?. Et le Trappiste avait r?pondu:

<>

--En France, continua l'abb?, on n'imagine gu?re un Trappiste ni m?me personne d'entre nous osant pareille phrase. Au fond de nos moeurs et de nos pr?jug?s survit un jans?nisme incurable.

--Le jans?nisme avait du bon, protesta le P?re avec une moue agressive. C'?tait un bastion contre la veulerie des moeurs. J'aime mieux ?a que nos d?votions de camelote, l'illusion du salut au rabais, du salut qui ne co?te rien.

Le chanoine, d'un ton poli, se rebiffa:

--Alors, comment expliquez-vous, mon P?re, que partout o? s'implant?rent des ?v?ques et un clerg? jans?nistes, la foi ait d?clin? plus promptement qu'ailleurs?

Par-dessus la t?te de Mme ?lise une controverse, entre les deux eccl?siastiques, s'aiguisa, un croisement de fer que la mod?ration du chanoine maintint courtois. Antoinette, silencieuse, effac?e, observait le choc de leurs arguments; Agn?s et J?r?me s'isolaient dans une causerie ? mi-voix:

--Je crois vous comprendre, dit J?r?me, ?mu de sa confiance, surpris de ces vell?it?s nostalgiques. Mais enfin, vivre, qu'est-ce donc pour vous?

Les paupi?res aux cils bruns d'Agn?s eurent un l?ger battement; une rougeur vague anima ses joues, et sa t?te se d?tourna comme dans une fuite charmante. Apr?s une pause br?ve elle r?pondit pourtant:

--Je n'en sais rien au juste; je d?sire parce que j'ignore...

Mais, en ces minutes d'intimit?, pour la premi?re fois il re?ut le contact r?el de sa pr?sence. Apercevoir qu'elle avait un teint diaphane, des yeux pers que la courbure des cils rendait caressants, des l?vres minces un peu renfl?es aux commissures, un profil dont le nez pointu relevait les contours alanguis, une main svelte, une voix h?sitante et velout?e qui semblait sortir d'un r?ve nonchalant, ce n'?tait pas la conna?tre. Mais elle venait d'entr'ouvrir son ?me; J?r?me fut avide soudain de la p?n?trer.

Il ne se croyait point amoureux d'Agn?s; il ne pensait trouver en elle qu'une agr?able amie. Cependant saurait-il s'arr?ter ? une sympathie ?ph?m?re? S'il n'avait rien d?m?l?, chez la soeur d'Antoinette, de plus profond, il se f?t tenu en garde contre de vains ?lans. La noblesse et le p?ril, pour lui, d'une telle amiti?, c'en ?tait l'ing?nuit? catholique. Un coeur form? ? l'absolu de l'amour le transporte dans les sentiments profanes. Il ne pouvait aimer ? demi, ne livrer qu'une parcelle de lui-m?me. Agn?s lui t?moignait une sorte de furtif abandon; son premier mouvement fut un trouble voluptueux. Mme ?lise la d?finissait <> J?r?me pouvait se croire la cause ou l'occasion de l'?veil. Et l'appel d'Agn?s r?pondait, en lui, au fr?missement d'une jeunesse jusqu'alors contenue par de chastes disciplines. Car il avait travers? les hasards de la guerre et les promiscuit?s de l'arri?re-front sans ?tre une seule fois victime des occasions charnelles. Montcalm, l? encore, l'avait prot?g?, Montcalm qui, ? la veille d'une offensive, lui d?clarait: <>

Ces id?es graves n'effleur?rent qu'un instant son attention, comme se m?le ? l'air d'une rue l'odeur d'encens d'une ?glise, quand on ouvre les portes et qu'on les referme aussit?t. Sa conscience se dissipa dans les menus faits du dehors.

Le d?jeuner fini, comme le chanoine disposait encore d'un moment, Mme ?lise lui proposa de visiter le jardin; elle aurait plaisir ? lui en faire les honneurs. Elle gardait la passion de planter, d'am?nager; le seul luxe o? elle se divertissait ?tait celui des fleurs, des arbres, de la basse-cour.

La maison qu'elle avait achet?e, pendant la guerre, voulant suivre J?r?me jusqu'au terme de ses ?tudes, se dressait au bord d'un promontoire, ? l'endroit que jadis occupa le ch?teau des princes de Beauveau-Craon, bombard?, ruin?, en 1871, par les obus allemands.

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