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Read Ebook: L'Écrivain by Mille Pierre

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Ebook has 477 lines and 31558 words, and 10 pages

S'il n'a le diable au corps, qu'il ne se risque pas ? devenir un ?crivain. Notre langue est un outil merveilleux, mais de formation classique, j'oserai presque dire artificielle. Elle est une langue de soci?t?, une langue de gens du monde, une langue de coll?ge o? les murs sont encore tout impr?gn?s de latin, m?me quand on n'y enseigne plus le latin. Il n'en est pas ainsi en Russie, en Allemagne et dans les pays anglo-saxons. La litt?rature y est plus populaire et davantage le patrimoine de tout le monde. Gorki a ?t? d?bardeur et cuisinier. Vingt romanciers am?ricains ont fait leur ?ducation ? l'?cole primaire, dans la rue et ? l'atelier. Chez nous un Murger ou un Pierre Hamp resteront des exceptions...>> Mais Pamphile a us? ses culottes sur les bancs d'un lyc?e: par une sorte de gr?ce d'?tat--je vous assure que je parle s?rieusement--cela suffit. S'il a quelque chose dans le ventre il pourra le sortir sans trop de peine.

--Je vous remercie.

--Il n'y a pas de quoi... Et, dites-moi, ce jeune homme a-t-il des dispositions?

--C'est-?-dire qu'il n'est bon ? rien. J'entends ? rien autre. Il ferait ?a avec un peu plus de go?t, comprenez-vous? Ou plut?t moins de d?go?t.

--On ne saurait mieux d?finir la vocation. Nos p?res ont prof?r? des choses excessives sur la vocation, et le terme m?me, je le reconnais, y engage. Il sugg?re un appel irr?sistible et secret, un d?mon furieux, un dieu sublime, ail?, qui vous emporte... que sais-je encore! La v?rit? est que la vocation est un autre nom pour le principe du moindre effort qui r?git de l'univers entier jusqu'aux plantes, jusqu'aux min?raux. La vocation consiste ? faire ce qui vous donne le moins de mal, qui vous est le moins d?sagr?able. Toutefois l'on peut admettre qu'elle se confond, dans certains cas, avec l'instinct du jeu, c'est-?-dire la recherche d'un plaisir qu'on se donne gratuitement. Un philosophe distingu?, au d?but du si?cle dernier, ?tait conducteur d'omnibus pour gagner sa vie, et faisait de la philosophie pour se reposer. Mais ce sont l? des exceptions. Le principe du moindre effort, la recherche de ce qui vous est le plus facile, suffit. Pamphile pr?f?re ?crire ? tricoter des bas, ou ? l'administration des contributions indirectes: il n'y a pas autre chose ? lui demander.

--Mais croyez-vous qu'il r?ussira?

--Je ne dis pas cela. Cette profession d'?crivain est l'une de celles--il y en a d'autres, quand ce ne serait que le commerce et l'industrie--o? nul avancement ne se peut pr?voir ? l'anciennet?, o? il n'y a pas de retraite. Tant pis pour lui s'il ?choue. Il doit le pr?voir et s'y r?signer.

<>, son sort ne sera pas trop mis?rable dans la soci?t? contemporaine. Le journalisme, et m?me la litt?rature courante, exigent un personnel de plus en plus consid?rable. Il a des chances de se faire une petite carri?re, un petit nom.

--Mais que doit-il ?crire, pour commencer, comment publier?

--Ah! ?a, par exemple, je n'en sais rien. C'est un des myst?res les plus insondables de la profession et le secret est pratiquement incommunicable... Du reste, envoyez-moi le candidat...>>

CHAPITRE II

LES D?BUTS DE PAMPHILE

Il est ? noter du reste que, aux ?ges recul?s o? le petit univers litt?raire vivait presque totalement ? l'?cart du grand univers f?minin, il faisait profession de c?l?brer l'amour et d'adorer la femme. A cette heure que la communication est r?tablie, la jeune litt?rature affecte volontiers de d?daigner l'amour et de remettre la femme ? sa place. Ceci doit ?tre encore affaire de mode.

<<... Ainsi, dis-je ? Pamphile, vous voulez devenir mon confr?re. Vous m'en voyez tr?s honor?... Quel genre comptez-vous aborder?>>

Pamphile me regarda gentiment. La jeunesse d'? pr?sent a perdu sa timidit? devant les anc?tres. Cela tient ? ce que ceux qui sont revenus de la guerre ont vu en face des choses plus intimidantes; ils ont conscience aussi de parler au nom de ceux qui sont morts. Enfin je soup?onne que la fr?quentation et la conversation habituelle des femmes, plus commune de nos jours qu'autrefois, y est ?galement pour quelque chose. Je ne m'?tonnai donc point de l'assurance de Pamphile, bien qu'il demeur?t muet; il ne me r?pondait rien.

<> fis-je pour l'encourager un peu, g?n?ralisant de fa?on si banale que cela me faisait rougir.

Son regard, qu'il conserve ing?nu, malgr? la possession qu'il a de lui, se chargea de quelque commis?ration:

<

--Comment?...

--Il ne s'agit plus de vers libre. C'est fini du vers libre... Mais les tendances actuelles int?grent la po?sie, les images qui sont le propre de la po?sie, dans la prose. Et la prose ? son tour...>>

Si l'on s'embarque dans la th?orie, surtout avec les jeunes gens, on en a pour longtemps; j'abr?geai:

<>

Il ne se fit pas prier. Il ?tait, j'imagine, venu surtout pour ?a. Je lus d'un trait, parce qu'il n'y avait pas de ponctuation:

<

--N'est-ce pas? acquies?a-t-il.

--Pamphile, je vais ?tre franc. J'ai besoin que vous m'?clairiez un peu ce texte.

--Il est pourtant d'une limpidit? suffisante... <>, ?a veut dire que j'entre, venant de la rue obscure, dans un bar f?rocement illumin?. Je prends un cocktail tr?s violent... Voronof, vous comprenez... <>, c'est ce que je dis au bout de cinq minutes. Au bout de cinq minutes on en a toujours assez, on n'est pas encore adapt?. <>, ce sont les pieds des danseurs, qui s'agitent, et leurs figures inertes. <>: qu'est-ce qui se passe, de danseur ? danseuse, pendant qu'ils tournent? Et alors: <> se comprend tout seul. C'est le phare au bout de la strophe... Il n'y a pas de ponctuation parce que tout ?a se plaque au m?me instant sur l'appareil c?r?bral.

--Excellent!>> d?clarai-je.

Pamphile daigna para?tre assez satisfait de mon approbation.

<>

Pamphile sourit doucement:

<

--Vraiment? Pourquoi?

--Il y a si longtemps que les hommes savent lire qu'ils lisent de plus en plus vite. Ils ne sautent pas seulement les mots, mais les paragraphes, les pages. Ils sont dress?s ? comprendre bien plus rapidement qu'il y a un si?cle. On dit que c'est ? cause de la T. S. F., de l'auto, de la pr?cipitation de la vie contemporaine. ?a, c'est peut-?tre une blague... Toutefois le fait est l?... Alors il faut arriver ? l'analyse infinit?simale d'impressions simultan?es, comme Marcel Proust, ou au contraire ? la condensation maxima de ph?nom?nes visuels et c?r?braux qui n'ont aucun rapport entre eux, du moins apparent, dans le temps et dans l'espace, et pourtant s'?voquent, se comp?n?trent les uns les autres.

--Pamphile, lui dis-je, votre m?re a eu bien tort de me prier de vous donner des conseils: vous ?tes fort! Vous ?tes beaucoup plus fort que moi! Pourquoi me demandez-vous des le?ons?

--Je ne vous en demande pas sur ce que je sais, mais ce que j'ignore...

--Et modeste, avec ?a: c'est de l'intelligence!... Laissez-moi donc alors vous faire une observation. Vous m'avez dit: <> Mais n'importe lequel, et tout de suite! Seulement il ne vaudrait probablement pas ceux de M. Bourget... Un bon roman implique une grosse somme d'exp?riences sociales ou individuelles, soit directes, soit indirectes. Un roman, c'est toujours le romancier r?agissant contre lui-m?me ou contre la soci?t?. C'est pourquoi vouloir se m?ler d'aborder ce genre difficile avant d'avoir v?cu, revient ? pr?tendre diriger un paquebot avant d'avoir vu la mer. Et l'on ignore m?me l'art d'associer et d'exprimer ses propres sentiments: il y faut du m?tier, comme en toutes choses.

<

<

--Comment l'entendez-vous?

--Eh! monsieur, r?pliqua Pamphile, vous venez de le dire vous-m?me: c'est ? la vie de me l'apprendre. Dans dix ans, je le saurai. Il y aura les modalit?s propres de mon talent, si j'en ai, il y aura mon plus ou moins de volont?, il y aura les circonstances. Laissez-moi le temps...

--Pamphile, j'ignore si vous aurez du talent, mais vous ?tes un gar?on raisonnable.>>

L'AMATEUR

Depuis que Pamphile s'est r?solu d'embrasser la carri?re des lettres, je distingue dans son apparence ext?rieure, et ses comportements, des changements appr?ciables. Il est mis avec moins de recherche, bien que toujours correctement. Sans les ?viter tout ? fait, il n?glige la fr?quentation de ceux de ses amis ? qui la fortune permet de ne se livrer qu'aux plaisirs. Il accorde sa subvention ? une revue litt?raire entreprenante, nouvellement fond?e, et qui d'ailleurs pratique savamment l'art de la publicit?; mais c'est en se faisant tirer l'oreille, en laissant attendre sa contribution: il affirme qu'il n'est pas en fonds, que c'est pour lui un sacrifice assez p?nible. Enfin, ?tant parvenu ? placer quelques <> dans une feuille quotidienne, qui n'est pas sans r?mun?rer, quoique modestement, ses collaborateurs, il ne manque pas chaque mois d'en aller toucher le prix, ? peine suffisant pour payer sa provision de cigarettes pour la semaine.

Je m'en suis ?tonn?:

<

--Pamphile, ai-je r?pondu, un tel souci marque votre prudence. Toutefois, peut-?tre celle-ci est-elle excessive; je dois vous avouer que, parvenu au d?clin de mes jours, je ne distingue pas encore fort bien ce que c'est qu'un amateur, que ce soit dans l'ordre des Lettres ou celui des Beaux-Arts.

--La belle malice! Un amateur est celui qui n'a pas besoin de peindre, d'?crire ou de sculpter pour vivre!

--J'entends. En effet, la mati?re est d?licate, et la distinction entre l'?crivain de profession et l'amateur plus difficile que je ne pensais... Il faudrait donc dire: <>

--Soit. Mais vous devez reconna?tre avec moi que cette d?finition est assez vague. En somme, un boh?me, Pamphile, un boh?me bien mis?rable, sans talent par surcro?t, ou n'?crivant avec talent que fort peu, par insouciance ou paresse, et vivant surtout de subsides b?n?voles, m?riterait tout aussi bien, selon ce que vous dites, d'?tre tax? d'amateur.

--Non pas! Pour une raison qui me para?t ?vidente: qu'il ait du talent ou n'en ait pas; qu'il produise, ne produise pas, ou fort peu; que sa plume lui procure le pain quotidien ou en soit incapable, cela ne l'emp?che pas de n'?tre qu'?crivain. Un ouvrier qui ch?me, volontairement ou involontairement, n'en est pas moins un ouvrier, et n'est que cela.

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