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Read Ebook: La Comédie humaine - Volume 15 by Balzac Honor De

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Ebook has 3164 lines and 260231 words, and 64 pages

Release date: November 5, 2023

Original publication: Paris: Furne, J. J. Dubochet et Cie, J Hetzel, 1845

Au lecteur.

Cette version num?ris?e reproduit, dans son int?gralit?, la version originale. Seules les corrections indiqu?es ? la fin du texte ont ?t? effectu?es.

OEUVRES COMPL?TES DE M. DE BALZAC.

PARIS, IMPRIM? PAR LACRAMPE ET COMP.

LA COM?DIE HUMAINE, QUINZI?ME VOLUME.

?TUDES PHILOSOPHIQUES

Massimilla Doni.--Gambara.--L'Enfant maudit.--Les Marana. Adieu.--Le R?quisitionnaire.--El Verdugo. Un Drame au bord de la mer.--L'Auberge Rouge. L'?lixir de longue vie.--Ma?tre Corn?lius. Sur Catherine de M?dicis : le Martyr calviniste.

PARIS,

FURNE, RUE SAINT-ANDR?-DES-ARTS, 55;

J.-J. DUBOCHET ET Cie, RUE RICHELIEU, 60;

J. HETZEL, RUE DE M?NARS, 10.

?TUDES PHILOSOPHIQUES.

A JACQUES STRUNZ.

Comme le savent les connaisseurs, la noblesse v?nitienne est la premi?re de l'Europe. Son Livre d'or a pr?c?d? les Croisades, temps o? Venise, d?bris de la Rome imp?riale et chr?tienne qui se plongea dans les eaux pour ?chapper aux Barbares, d?j? puissante, illustre d?j?, dominait le monde politique et commercial. A quelques exceptions pr?s, aujourd'hui cette noblesse est enti?rement ruin?e. Parmi les gondoliers qui conduisent les Anglais ? qui l'Histoire montre l? leur avenir, il se trouve des fils d'anciens doges dont la race est plus ancienne que celle des souverains. Sur un pont par o? passera votre gondole, si vous allez ? Venise, vous admirerez une sublime jeune fille mal v?tue, pauvre enfant qui appartiendra peut-?tre ? l'une des plus illustres races patriciennes. Quand un peuple de rois en est l?, n?cessairement il s'y rencontre des caract?res bizarres. Il n'y a rien d'extraordinaire ? ce qu'il jaillisse des ?tincelles parmi les cendres. Destin?es ? justifier l'?tranget? des personnages en action dans cette histoire, ces r?flexions n'iront pas plus loin, car il n'est rien de plus insupportable que les redites de ceux qui parlent de Venise apr?s tant de grands po?tes et tant de petits voyageurs. L'int?r?t du r?cit exigeait seulement de constater l'opposition la plus vive de l'existence humaine: cette grandeur et cette mis?re qui se voient l? chez certains hommes comme dans la plupart des habitations. Les nobles de Venise et ceux de G?nes, comme autrefois ceux de Pologne, ne prenaient point de titres. S'appeler Quirini, Doria, Brignole, Morosini, Sauli, Mocenigo, Fieschi , Cornaro, Spinola, suffisait ? l'orgueil le plus haut. Tout se corrompt, quelques familles sont titr?es aujourd'hui. N?anmoins, dans le temps o? les nobles des r?publiques aristocratiques ?taient ?gaux, il existait ? G?nes un titre de prince pour la famille Doria qui poss?dait Amalfi en toute souverainet?, et un titre semblable ? Venise, l?gitim? par une ancienne possession des Facino Cane, prince de Var?se. Les Grimaldi, qui devinrent souverains, s'empar?rent de Monaco beaucoup plus tard. Le dernier des Cane de la branche a?n?e disparut de Venise trente ans avant la chute de la r?publique, condamn? pour des crimes plus ou moins criminels. Ceux ? qui revenait cette principaut? nominale, les Cane Memmi, tomb?rent dans l'indigence pendant la fatale p?riode de 1796 ? 1814. Dans la vingti?me ann?e de ce si?cle, ils n'?taient plus repr?sent?s que par un jeune homme ayant nom Emilio, et par un palais qui passe pour un des plus beaux ornements du Canale Grande. Cet enfant de la belle Venise avait pour toute fortune cet inutile palais et quinze cents livres de rente provenant d'une maison de campagne situ?e sur la Brenta, le dernier bien de ceux que sa famille poss?da jadis en Terre-Ferme, et vendue au gouvernement autrichien. Cette rente viag?re sauvait au bel ?milio la honte de recevoir, comme beaucoup de nobles, l'indemnit? de vingt sous par jour, due ? tous les patriciens indigents, stipul?e dans le trait? de cession ? l'Autriche.

--Je suis bien s?re que le grand seigneur n'est pas mon mari, dit la duchesse.

Aussit?t les chevaux furent command?s, et la Cataneo partit ? l'instant pour Venise, afin d'assister ? l'ouverture de la saison d'hiver. Par une belle soir?e du mois de novembre, le nouveau prince de Var?se traversait donc la lagune de Mestre ? Venise, entre la ligne de poteaux aux couleurs autrichiennes qui marque la route conc?d?e par la douane aux gondoles. Tout en regardant la gondole de la Cataneo men?e par des laquais en livr?e, et qui sillonnait la mer ? une port?e de fusil en avant de lui, le pauvre Emilio, conduit par un vieux gondolier qui avait conduit son p?re au temps o? Venise vivait encore, ne pouvait repousser les am?res r?flexions que lui sugg?rait l'investiture de son titre.

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Et il jeta le bout de son cigare dans la mer. Le prince de Var?se trouve ses cigares chez la Cataneo, ? laquelle il voudrait apporter les richesses du monde; la duchesse ?tudiait tous ses caprices, heureuse de les satisfaire! Il fallait y faire son seul repas, le souper, car son argent passait ? son habillement et ? son entr?e ? la Fenice. Encore ?tait-il oblig? de pr?lever cent francs par an pour le vieux gondolier de son p?re, qui, pour le mener ? ce prix, ne vivait que de riz. Enfin, il fallait aussi pouvoir payer les tasses de caf? noir que tous les matins il prenait au caf? Florian pour se soutenir jusqu'au soir dans une excitation nerveuse, sur l'abus de laquelle il comptait pour mourir, comme Vendramin comptait, lui, sur l'opium.

--Et je suis prince! En se disant ce dernier mot, Emilio Memmi jeta, sans l'achever, la lettre de Marco Vendramini dans la lagune, o? elle flotta comme un esquif de papier lanc? par un enfant.--Mais Emilio, reprit-il, n'a que vingt-trois ans. Il vaut mieux ainsi que lord Wellington goutteux, que le r?gent paralytique, que la famille imp?riale d'Autriche attaqu?e du haut mal, que le roi de France... Mais en pensant au roi de France, le front d'Emilio se plissa, son teint d'ivoire jaunit, des larmes roul?rent dans ses yeux noirs, humect?rent ses longs cils; il souleva d'une main digne d'?tre peinte par Titien son ?paisse chevelure brune, et reporta son regard sur la gondole de la Cataneo.

--La raillerie que se permet le sort envers moi se rencontre encore dans mon amour, se dit-il. Mon coeur et mon imagination sont pleins de tr?sors, Massimilla les ignore; elle est Florentine, elle m'abandonnera. ?tre glac? pr?s d'elle lorsque sa voix et son regard d?veloppent en moi des sensations c?lestes! En voyant sa gondole ? quelque cent palmes de la mienne, il me semble qu'on me place un fer chaud dans le coeur. Un fluide invisible coule dans mes nerfs et les embrase, un nuage se r?pand sur mes yeux, l'air me semble avoir la couleur qu'il avait ? Rivalta, quand le jour passait ? travers un store de soie rouge, et que, sans qu'elle me v?t, je l'admirais r?veuse et souriant avec finesse, comme la Monna Lisa de L?onardo. Ou mon altesse finira par un coup de pistolet, ou le fils des Cane suivra le conseil de son vieux Carmagnola: nous nous ferons matelots, pirates, et nous nous amuserons ? voir combien de temps nous vivrons avant d'?tre pendus!

Jugez quel dut ?tre l'?tonnement d'un jeune homme absorb? par de telles pens?es, au moment o? Carmagnola s'?cria:--S?r?nissime altesse, le palais br?le, ou les anciens doges y sont revenus. Voici des lumi?res aux crois?es de la galerie haute!

Le prince Emilio crut son r?ve r?alis? par un coup de baguette. A la nuit tombante, le vieux gondolier put, en retenant sa gondole ? la premi?re marche, aborder son jeune ma?tre sans qu'il f?t vu par aucun des gens empress?s dans le palais, et dont quelques-uns bourdonnaient au perron comme des abeilles ? l'entr?e d'une ruche. Emilio se glissa sous l'immense p?ristyle o? se d?veloppait le plus bel escalier de Venise et le franchit lestement pour conna?tre la cause de cette singuli?re aventure. Tout un monde d'ouvriers se h?tait d'achever l'ameublement et la d?coration du palais. Le premier ?tage, digne de l'ancienne splendeur de Venise, offrait ? ses regards les belles choses qu'Emilio r?vait un moment auparavant, et la f?e les avait dispos?es dans le meilleur go?t. Une splendeur digne des palais d'un roi parvenu ?clatait jusque dans les plus minces d?tails. Emilio se promenait sans que personne lui f?t la moindre observation, et il marchait de surprise en surprise. Curieux de voir ce qui se passait au second ?tage, il monta, et trouva l'ameublement fini. Les inconnus charg?s par l'enchanteur de renouveler les prodiges de Mille et une Nuits en faveur d'un pauvre prince italien, rempla?aient quelques meubles mesquins apport?s dans les premiers moments. Le prince Emilio arriva dans la chambre ? coucher de l'appartement, qui lui sourit comme une conque d'o? V?nus serait sortie. Cette chambre ?tait si d?licieusement belle, si bien pomponn?e, si coquette, pleine de recherches si gracieuses, qu'il s'alla plonger dans une berg?re de bois dor? devant laquelle on avait servi le souper froid le plus friand; et, sans autre forme de proc?s, il se mit ? manger.

Il se rencontre quelques riches organisations sur lesquelles le bonheur ou le malheur extr?me produit un effet soporifique. Or, sur un jeune homme assez puissant pour id?aliser une ma?tresse au point de ne plus y voir de femme, l'arriv?e trop subite de la fortune devait faire l'effet d'une dose d'opium. Quand le prince eut bu la bouteille de vin de Porto, mang? la moiti? d'un poisson et quelques fragments d'un p?t? fran?ais, il ?prouva le plus violent d?sir de se coucher. Peut-?tre ?tait-il sous le coup d'une double ivresse. Il ?ta lui-m?me la couverture, appr?ta le lit, se d?shabilla dans un tr?s-joli cabinet de toilette, et se coucha pour r?fl?chir ? sa destin?e.

--J'ai oubli? ce pauvre Carmagnola, mais mon cuisinier et mon sommelier y pourvoiront.

En ce moment, une femme de chambre entra fol?trement en chantonnant un air du Barbier de S?ville. Elle jeta sur une chaise des v?tements de femme, toute une toilette de nuit, en se disant:--Les voici qui rentrent!

Le prince aper?ut un de ces personnages ? qui personne ne veut croire d?s qu'on les fait passer de l'?tat r?el o? nous les admirons, ? l'?tat fantastique d'une description plus ou moins litt?raire. Comme celui des Napolitains, l'habillement de l'inconnu comportait cinq couleurs, si l'on veut admettre le noir du chapeau comme une couleur: le pantalon ?tait olive, le gilet rouge ?tincelait de boutons dor?s, l'habit tirait au vert et le linge arrivait au jaune. Cet homme semblait avoir pris ? t?che de justifier le Napolitain que Gerolamo met toujours en sc?ne sur son th??tre de marionnettes. Les yeux semblaient ?tre de verre. Le nez en as de tr?fle saillait horriblement. Le nez couvrait d'ailleurs avec pudeur un trou qu'il serait injurieux pour l'homme de nommer une bouche, et o? se montraient trois ou quatre d?fenses blanches dou?es de mouvement, qui se pla?aient d'elles-m?mes les unes entre les autres. Les oreilles fl?chissaient sous leur propre poids, et donnaient ? cet homme une bizarre ressemblance avec un chien. Le teint, soup?onn? de contenir plusieurs m?taux infus?s dans le sang par l'ordonnance de quelque Hippocrate, ?tait pouss? au noir. Le front pointu, mal cach? par des cheveux plats, rares, et qui tombaient comme des filaments de verre souffl?, couronnait par des rugosit?s rouge?tres une face grimaude. Enfin, quoique maigre et de taille ordinaire, ce monsieur avait les bras longs et les ?paules larges; malgr? ces horreurs, et quoique vous lui eussiez donn? soixante-dix ans, il ne manquait pas d'une certaine majest? cyclop?enne; il poss?dait des mani?res aristocratiques et dans le regard la s?curit? du riche. Pour quiconque aurait eu le coeur assez ferme pour l'observer, son histoire ?tait ?crite par les passions dans ce noble argile devenu boueux. Vous eussiez devin? le grand seigneur, qui, riche d?s sa jeunesse, avait vendu son corps ? la D?bauche pour en obtenir des plaisirs excessifs. La D?bauche avait d?truit la cr?ature humaine et s'en ?tait fait une autre ? son usage. Des milliers de bouteilles avaient pass? sous les arches empourpr?es de ce nez grotesque, en laissant leur lie sur les l?vres. De longues et fatigantes digestions avaient emport? les dents. Les yeux avaient p?li ? la lumi?re des tables de jeu. Le sang s'?tait charg? de principes impurs qui avaient alt?r? le syst?me nerveux. Le jeu des forces digestives avait absorb? l'intelligence. Enfin, l'amour avait dissip? la brillante chevelure du jeune homme. En h?ritier avide, chaque vice avait marqu? sa part du cadavre encore vivant. Quand on observe la nature, on y d?couvre les plaisanteries d'une ironie sup?rieure: elle a, par exemple, plac? les crapauds pr?s des fleurs, comme ?tait ce duc pr?s de cette rose d'amour.

--Jouerez-vous du violon ce soir, mon cher duc? dit la femme en d?tachant l'embrasse et laissant retomber une magnifique porti?re sur la porte.

--Jouer du violon, reprit le prince ?milio, que veut-elle dire? Qu'a-t-on fait de mon palais? Suis-je ?veill?? Me voil? dans le lit de cette femme qui se croit chez elle, elle ?te sa mantille! Ai-je donc, comme Vendramin, fum? l'opium, et suis-je au milieu d'un de ces r?ves o? il voit Venise comme elle ?tait il y a trois cents ans?

Assise devant sa toilette illumin?e par des bougies, l'inconnue d?faisait ses atours de l'air le plus tranquille du monde.

--Sonnez Julia, je suis impatiente de me d?shabiller.

En ce moment, le duc aper?ut le souper entam?, regarda dans la chambre, et vit le pantalon du prince ?tal? sur un fauteuil pr?s du lit.

--Je ne sonnerai pas, Clarina, s'?cria d'une voix gr?le le duc furieux. Je ne jouerai du violon ni ce soir, ni demain, ni jamais...

--Malgr? cette voix qui rendrait sainte Claire, ta patronne, jalouse, et le Christ amoureux, vous ?tes par trop impudente, madame la dr?lesse.

--Vous ne m'avez pas ?lev?e ? entendre de semblables mots, dit-elle avec fiert?.

--Vous ai-je appris ? garder un homme dans votre lit? Vous ne m?ritez ni mes bienfaits, ni ma haine.

--Un homme dans mon lit! s'?cria Clarina en se retournant vivement.

--Et qui a famili?rement mang? notre souper, comme s'il ?tait chez lui, reprit le duc.

--Mais, s'?cria ?milio, ne suis-je pas chez moi? Je suis le prince de Var?se, ce palais est le mien.

En disant ces paroles, ?milio se dressa sur son s?ant et montra sa belle et noble t?te v?nitienne au milieu des pompeuses draperies du lit. D'abord la Clarina se mit ? rire d'un de ces rires fous qui prennent aux jeunes filles quand elles rencontrent une aventure comique en dehors de toute pr?vision. Ce rire eut une fin, quand elle remarqua ce jeune homme, qui, disons-le, ?tait remarquablement beau, quoique peu v?tu; la m?me rage qui mordait ?milio la saisit, et comme elle n'aimait personne, aucune raison ne brida sa fantaisie de Sicilienne ?prise.

--Si ce palais est le palais Memmi, votre Altesse s?r?nissime voudra cependant bien le quitter, dit le duc en prenant l'air froid et ironique d'un homme poli. Je suis ici chez moi...

--Apprenez, monsieur le duc, que vous ?tes dans ma chambre et non chez vous, dit la Clarina sortant de sa l?thargie. Si vous avez des soup?ons sur ma vertu, je vous prie de me laisser les b?n?fices de mon crime...

--Des soup?ons! Dites, ma mie, des certitudes...

--Je vous le jure, reprit la Clarina, je suis innocente.

--Mais que vois-je l?, dans ce lit? dit le duc.

--Ah! vieux sorcier, si tu crois ce que tu vois plus que ce que je te dis, s'?cria la Clarina, tu ne m'aimes pas! Va-t'en et ne me romps plus les oreilles! M'entendez-vous? sortez, monsieur le duc! Ce jeune prince vous rendra le million que je vous co?te, si vous y tenez.

--Je ne rendrai rien, dit ?milio tout bas.

--Eh! nous n'avons rien ? rendre, c'est peu d'un million pour avoir Clarina Tinti quand on est si laid. Allons, sortez, dit-elle au duc, vous m'avez renvoy?e, et moi je vous renvoie, partant quitte.

Sur un geste du vieux duc, qui paraissait vouloir r?sister ? cet ordre intim? dans une attitude digne du r?le de S?miramis, qui avait acquis ? la Tinti son immense r?putation, la prima-donna s'?lan?a sur le vieux singe et le mit ? la porte.

--Si vous ne me laissez pas tranquille ce soir, nous ne nous reverrons jamais. Mon jamais vaut mieux que le v?tre, lui dit-elle.

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